Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

noiſe en discontinuant néanmoins ma petite collation. J’étois perſuadé, comme je le fuis encore, que toute production naturelle, agréable au goût, ne peut être nuiſible au corps, ou ne l’eſt du moins que par ſon excès. Cependant j’avoue que je m’écoutai un peu tout le reſte de la journée ; mais j’en fus quitte pour un peu d’inquiétude ; je ſoupai très-bien, dormis mieux, & me levai de matin en parfaite ſanté, après avoir avalé la veille 15 ou 20 grains de ce terrible hippopœe, qui empoiſonne à très-petite doſe, à ce que tout le monde me dit à Grenoble le lendemain.„

D’après ce récit, le lecteur, au premier coup-d’œil, n’a que deux partis à prendre ſur le compte de M. Bovier : il faut le regarder comme le plus ſtupide ou le plus méchant des hommes. [1] L’espèce de gaîté que Rouſſeau dans ſon récit fait d’abord incliner pour le premier parti : il dit qu’il finit par en rire : le lecteur en rit auſſi, comme d’une ſottiſe, & paſſe ſon chemin ; mais un homme plus attentif & plus inſtruit verra dans ces quatre lignes la plus odieuſe accuſation. Rouſſeau ne raconte ce petit évènement que pour faire connoître, dit-il, le caractère d’un peuple fort-différent des ſuiſſes, & ce peuple eſt le peuple dauphinois. On doit d’abord remarquer avec quelle équité tout le Dauphiné va être jugé ſur la bévue ou l’atrocité d’un ſeul particulier. Au reſte, quand Rouſſeau dit que ce peuple eſt fort-différent des ſuiſſes, il n’entend pas aſſurément

  1. M. Bovier eſt auteur d’un Mémoire eſtimé ſur les différends entre les bourgeois de Genève & les natifs.