Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/25

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d’être rayé de la liſte des beaux-esprits ; mais pour le ſens commun, c’eſt autre choſe : il fait une grande portion de l’eſtime à laquelle tout citoyen a droit de prétendre ; cela eſt d’autant plus vrai, que la réputation de probité eſt en partie fondée ſur celle du bon ſens, & que dans un ſot on mépriſe la malice ſans y eſtimer la bonté. J’oſe donc aſſurer que dans tous les ſens ce trait de ſatyre eſt atroce ou pour le moins cruel. Celui qui l’écrivit eſt répréhenſible ; & les éditeurs honnêtes dont ce même trait a trompé la vigilance & la probité, en auront de longs regrets.

En voilà ſans doute allez pour inculper Rouſſeau, mais non pour juſtifier M. Bovier. Or, il s’agit moins ici de prouver le tort d’un homme qui n’eſt plus, que l’innocence d’un homme encore vivant. Je m’attends bien que certains hommes doués d’une merveilleuſe patience pour les maux des autres, & très-généreux pour les injures qu’ils n’ont pas reçues, inſiſteront beaucoup à dire que c’eſt donner de l’importance à une bagatelle & s’époumonner à ſouffler une paille ; mais je les prierai de conſidérer que, fût-ce une paille, quand elle tombe de la main respectée de Rouſſeau ſur un honnête homme, elle pèſe plus qu’une poutre de la main d’un autre. D’ailleurs, je répète encore ſans aucune exagération, d’après la connoiſſance que je puis avoir du caractère de Rouſſeau, & de toutes les circonſtances qui ont précédé le fait dont il eſt queſtion, que je regarde en ma conſcience ces quatre lignes comme une accuſation d’aſſaſſinat, intentée ſous l’air d’une plaiſanterie fugitive & abandonnée ; intentée, dis-je, par Rouſſeau