Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/26

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contre M. Bovier, citoyen & père de famille, & déféré par la voie de l’impreſſion au tribunal de l’Europe. Or, je demande ſi la qualité du tribunal, celle de l’accuſation, de l’accuſateur & de l’accuſé ne méritent pas quelque attention ; je demande ſi pour tout honnête homme inſtruit, ce n’eſt pas un droit, ce n’eſt pas un devoir de révéler au Public (puisqu’enfin il eſt conſtitué juge) ce qu’il peut ſavoir ſur cette imputation vraiment diffamante. Je dépoſerai donc avec naïveté ce que j’ai connu moi-même de la conduite & des ſentimens de M. Bovier à l’égard de Rouſſeau, comme un témoin dépoſeroit dans une information judiciaire.

En 1768, après la querelle avec M. Hume, Rouſſeau, mécontent de presque toute l’Europe, voulut eſſayer du Dauphiné. On pouvoit bien prédire qu’un homme tel que Rouſſeau, qui s’étoit dégoûté de la Suiſſe, ne ſe plairoit guère dans cette province.

Ce fut à M. Bovier que le citoyen de Genève fut adreſſé à Grenoble. Ce M. Bovier, tant ſoupçonné, ſi grièvement accuſé depuis, ne ſe poffédoit pas de joie d’être chargé du fort de l’auteur d’Héloïſe & de l’Emile. Je fus témoin de ſes transports, & je les partageai : l’idée de poſſéder tout à notre aiſe J. J. Rouſſeau nous enchantoit. Il ne nous vint pas dans la tête la moindre difficulté ſur ſon caractère : ce n’eſt pas que du fond du Dauphiné nous n’euſſions fort-bien entendu le bruit des ſoufflets que Rouſſeau avoit ſi gracieuſement diſtribués à Londres ſur la joue de ſon patron ; mais quel homme n’imagine faire mieux que les autres ? D’ailleurs, avec autant de bien-