Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/27

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veillance pour lui dans nos cœurs, le moyen de craindre qu’il ne s’accommodât pas de nous ?

Voilà ce que le nom ſeul de Rouſſeau avoit fait pour lui ; le feu Prince de Conti y mêla le ſien pour faire encore davantage. Ce Prince étoit alors une espèce de providence pour Rouſſeau ; ſa protection attentive & prévoyante le ſuivoit dans les provinces ; il le fit recommander en ſon nom à toutes les puiſſances du Dauphiné. Enfin, lorsque Rouſſeau arriva à Grenoble, je puis aſſurer qu’il auroit trouvé un bonheur complet, ſi nous avions eu l’art de faire quelque chofe de pareil ; mais cette entrepriſe, ſi chymérique avec tous les hommes, étoit dangereuſe avec Rouſſeau. A peine débarqué, billets d’aller & venir, force prières de toutes parts, & tout autant de refus de la ſienne de ſe laiſſer voir. Il falloit bien ſe contenter de le regarder en paſſant, quand on ne l’avoit point vu aſſez à ſon gré. Rouſſeau s’apperçut bientôt de cet empreſſement du Public, & le qualifia à ſon ordinaire de malin vouloir & de lâche espionnage. Quant à moi, j’avoue ingénument que je n’ai jamais pu concevoir ni croire la ſincérité des plaintes de Rouſſeau à cet égard. Il m’eſt arrivé quelquefois de me promener avec lui ; j’ai été le témoin de la curioſité du Public ; elle n’étoit que flatteuſe, nullement importune, encore moins ſuspecte ; dans mon cœur je ne croyois point que Rouſſeau goûtât de l’abſynthe où tout autre eût goût du nectar.

Si le Public fut ſoupçonné, nous autres particuliers ne tardâmes point à l’être ; & je crois qu’avant un