Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/29

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jusqu’à Rouſſeau. Une mère aſſiſe à côté de ſon enfant qui dort, tremblante de peur qu’on ne l’éveille, l’oreille au guet, l’œil errant, la main en l’air pour chaſſer une mouche qui vole, faiſant ſigne au moindre bruit qu’on ſe taiſe, qu’on s’éloigne, en vérité voilà notre image ; nous marchions à pas ſuspendus, nous faiſions ſilence autour du repos de Rouſſeau.

Vanité pure, dira-t-on : peut-être bien ; mais qu’importe ? Si l’on s’aviſoit de couper aux bonnes actions tout chemin de retour vers ſoi-même, adieu les pauvres vertus humaines. D’ailleurs, qui empêchoit qu’on ne fît ici par attachement pour l’homme ce qu’on faiſoit par admiration pour l’auteur ? Qui l’empêchoit ? Rouſſeau lui-même, (dont les ſoupçons venoient glacer le ſentiment jusqu’au fond de l’ame. Auſſi je crois que nul de ceux qui l’approchèrent ne conſerva longtems auprès de lui cette grace naïve que donnent la confiance & la liberté : le ſoupçon produiſit la contrainte, & tout fut perdu : car ſi la gêne donne ſouvent l’air d’un ſot à un homme d’esprit, elle donne quelquefois auſſi l’air d’un menteur à l’homme le plus vrai.

Quoi qu’il en ſoit, Rouſſeau, toujours plus agité, toujours plus aigri ſans qu’on pût deviner pourquoi, partit un beau jour de Grenoble, en ſecouant la pouſſière de ſes ſouliers ſur cette ville remplie d’ennemis, d’espions & d’empoiſonneurs tous corrompus, tous gagés par d’autres ennemis & d’autres aſſaſſins de Paris, de Genève, de Suiſſe. O cervelle humaine ! Voilà pourtant celle qui fit l’Emile.

Nous ignorions tous alors très-complétement l’aventure du ſaule épineux, & les douces confé-