Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/39

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eue ; mais je ſçais auſſi que, lorsqu’il étoit queſtion de blâmer un autre à propos de ſoi, il s’élevoit un cri du fond du cœur : Si ce papier s’égaroit, ſi cet homme même le liſoit ! On a beau ſe répondre : Je le brûlerai : n’importe, la première lettre de ce nom étranger eſt un mur d’airain pour la plume d’un honnête homme.

Je demande, moi, maintenant à tous les honnêtes gens, ſi M. Bovier portoit ſa plainte devant un tribunal bien règlé, quel ſage équitable pourroit lui refuſer une grande réparation ? Son plaidoyer ſeroit fort-ſimple. Je ſuis offenſé, diroit-il. Si l’on conſidère l’injure en elle-même dans le ſens le plus rigoureux, & malheureuſement le plus naturel, l’injure eſt atroce. Veut-on la conſidérer dans ſon rapport à celui qui l’a faite ? La gravité de l’injure doit ſe meſurer ſur la faculté que l’offenſeur a d’être cru. Quelle ſeroit donc l’injure la plus grave ? Celle que feroit un homme qui, pour toute profeſſion, auroit embraſſé la vérité même, un homme qui, par des écrits éloquens, & des actions toujours ſingulières & toujours remarquées, auroit annoncé pour la vérité l’héroïsme du dévouement ; celui qui, parlant de tous les états de l’homme, de toutes ſes paſſions, de tous leurs effets, de tous les ſentimens, de tous les devoirs, auroit trouvé des lecteurs dans toutes les conditions & dans tous les âges, dans ſes lecteurs presque autant de proſélytes, & dans ſes proſélytes presqu’autant d’enthouſiaſtes ; & cet homme ſeroit Jean-Jacques Rouſſeau. Etre accuſé par lui, c’eſt être déjà condamné par d’autres, & condamné ſans reſſource, puisque la conviction ne vient pas des preuves de l’accuſation, mais de la confiance dans l’accuſateur. Plutôt être calomnié de tout un peuple que d’un homme tel que Rouſſeau. La