Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/40

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force de la calomnie d’un peuple va toujours en diminuant ; & celle qui part d’un homme respecté va toujours en croiſſant.

Le tems où ces écrits injurieux paroiſſent aggrave encore l’injure : c’eſt après la mort de l’écrivain, lorsque L’auteur ne peut plus reconnoître ſon erreur, ni l’offenſé la prouver : car il ne faut pas ſe flatter : il reſte toujours un argument auſſi. terrible que commode : réfutez maintenant Rouſſeau tant que vous voudrez ; ſes enthouſiaſtes diront : Nous n’avons rien à vous répondre, il eſt vrai, mais ſi Rouſſeau vivoit !

M. Bovier feroit remarquer auſſi combien la nature de ces écrits ajoute de poids à l’offenſe : Rouſſeau y ſubjugue la confiance par les aveux les plus abandonnés ; les condamnations qu’il porte contre lui-même, jurent la vérité de celles qu’il fait ſubir aux autres. Eh ! comment ne pas le croire ? Il ſéduit d’abord l’amour-propre du lecteur : c’eſt un spectacle ſi doux pour l’amour-propre de voir un homme ſupérieur effeuillant, pour ainſi dire, ſon ame, & dévoilant ſes fautes avec la ſimplicité naïve d’un enfant qui effeuille une fleur & met à nu les petits infectes qui s’y cachoient. On croit Rouſſeau quand il vous condamne : le moyen de s’en défendre quand il vous permet de le condamner lui-même ?

Tout ſe réunit donc ici pour aggraver une injure très-grave en elle-même, celui qui l’a faite, celui qui la reçoit, l’écrit où elle eſt conſignée, le tems où elle eſt publiée ; mais ſur-tout ce qui l’aggrave, c’eſt le ſilence même de M. Bovier : moins il s’eſt plaint, plus on doit le plaindre ; & je proteſte ici qu’il