Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/42

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il faut ſe taire ; & il verra tout-à-coup ſuccéder ce ſilence déſolent qui, n’exprimant véritablement que la honte de Rouſſeau, lui paroîtra peut-être, s’il eſt foible, l’expreſſion de la ſienne. Jamais il n’appercevra dans une bibliothèque, ſur une table, les Œuvres de Jean-Jacques ſans ſe dire auſſitôt : Mon nom eſt là, & il y eſt attaché comme un écriteau au pilori d’une femme débauchée. Belle néceſſité à un auteur de morale d’écrire ſa vie pour fatiguer celle des autres, d’aller ouvrir & violer les tombeaux pour infecter les vivans !

On répondra ſans doute que Rouſſeau à quelques vérités fâcheuſes pour Mme de Warens a mêlé les plus ſéduiſans éloges. Mais qu’on y prenne garde : ces éloges ne louent point ; je dis plus : ils diffament. Qu’importent à Mme de Warens tous les éloges prodigués par Rouſſeau, quand ſon premier ſoin eſt d’anéantir pour elle ce qui ſert d’appui à tous les éloges d’une femme ? Le mot de vertu, qui exprime tant de choſes à l’égard des hommes, n’en exprime qu’une à l’égard des femmes ; c’eſt la pudicité. Retranchez à une femme ce qu’on appelle ſon honneur : elle ne paroît plus ſusceptible d’aucun autre honneur. Cette opinion étoit celle de Rouſſeau ; je le montrerois en vingt endroits ; mais l’eût-il jugée fauſſe, ſa faute ne ſeroit pas moins grave : tout homme qui s’aviſe de publier les louanges d’un autre, eſt obligé de le louer ſelon les principes de l’opinion publique, & non ſelon les ſiens ; & c’eſt une témérité manifeſte & coupable d’oſer balancer un ſeul ſuffrage qui honore, contre des miniers qui diffament.