Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/44

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doit point être jugé comme un autre. Qu’un écrivain médiocre s’aviſe de louer une femme qui ſe proſtitue, peut-être l’éloge blâmera ſon auteur ; mais que ce panégyriſte ſoit Jean-Jacques : alors l’auteur conſacrera l’éloge. Qui ne connoît l’aſcendant de cet esprit ſur les autres esprits ? Qui n’a éprouvé la force incroyable des deux moyens qu’il emploie toujours, la bonne foi la plus entière, & la ſenſibilité la plus exquiſe ? On croit le citoyen de Genève, parce qu’il ſe croit d’abord lui-même ; on le croit parce qu’il émeut vivement, & qu’à force d’agiter le cœur, il étourdit la tête. Tel eſt enfin le charme impérieux de ſes discours, que, pour peu qu’un lecteur s’abandonne, il finit par aimer ce que cet auteur aime, eſtimer ce qu’il eſtime, adorer ce qu’il adore : moi-même, je l’avoue ingénument, après avoir relu tout ce qu’il a dit de Mme de Warens, je fuis tenté de renoncer à mes penſées, & je ne crois plus y voir qu’une déclamation de caffard : j’ai dit mes penſées, & j’ai bien-tort : ce ſont les penſées de Rouſſeau lui-même ; je ne fais qu’oppoſer ce qu’il a cenſuré dans les autres ouvrages à ce qu’il eſtime dans ſes Confeſſions, & pour tout dire, ſes jugemens à ſes paſſions.

Liſez Rouſſeau, & vous verrez que la pudeur eſt pour les femmes une loi vraiment naturelle ; il vous dira que ſi la chaſteté eſt une vertu, la pudeur eſt un ſentiment, & qu’il eſt moins pénible pour un femme d’être chaſte que de n’être pas pudique. Qu’inférer de ces idées ? Une concluſion fort-ſimple : c’eſt qu’il ſe peut après tout, que des occaſions malheureuſes & des paſſions fatales exigent quelque pitié pour une