Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/47

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Cependant, que les Confeſſions de Rouſſeau tombent dans les mains d’une jeune fille, ou d’une femme du monde, en qui les deſirs mêmes ſont nourris par de continuels combats : que penſeront-elles, & que doivent-elles ſe dire ? Je ſuis bien-folle de tant réſiſter : quoi ! je combats pour être eſtimée, & voilà une femme foible jusqu’au libertinage, & cependant chérie, louée, respectée ; & par qui encore ? Par Rouſſeau lui-même : c’eſt tout dire. Quelle duperie à moi, de refuſer à l’amour ce que Madame de Warens accordoit à la ſeule pitié ! Elle s’abandonneroit au premier venu par principe ; & moi, je n’accorderai rien à l’homme choiſi par mon cœur ! Mon amant a bien-raiſon de dire que tout cela n’eſt qu’une affaire de préjugé. Qui ne voit qu’au fond Rouſſeau, le grand Rouſſeau penſoit absolument comme lui ? Et moi, ſerai-je ſeule d’un autre parti contre moi-même ?

Ainſi s’efface inſenſiblement l’empreinte de la nature & de la vertu ; ainſi ſe déprave la malheureuſe opinion publique. Mais en voilà trop, dira-t-on, ſur ce point délicat. Je ſens en effet, qu’à nos yeux cette espèce de prédication eſt ſusceptible d’un très-grand ridicule : il faut s’y ſoumettre. Je prierai ſeulement de remarquer que cet écrit, quoique publié en France, a été penſé en Suiſſe, pays où, ſans avoir des mœurs absolument parfaites, on ne s’eſt point encore accoutumé à railler ſur les bonnes.

L’article de Madame de Warens me ſuggère encore une réflexion ſur le danger des Confeſſions de Rouſſeau. Si Ton dit que l’homme eſt né ſinge, que dira-t-on de l’homme auteur ? Imitatores ſervum