Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/49

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donne les lettres ; il n’eſt pas jusqu’aux factums qui ne ſoient garnis de lettres. Le commun des lecteurs eſt avide de ce genre de productions, qui ne fatigue point l’attention, amuſe la malignité par des anecdotes, & chatouille ſouvent l’amour-propre par l’espérance ſecrette de découvrir chez les autres deux espèces de fautes : les unes de ſtyle, les autres de conduite.

Quelquefois auſſi un homme de goût épie les lettres d’un écrivain ſupérieur, comme un voluptueux le négligé d’une belle femme, & pour l’ordinaire tous deux ſont trompés. Un auteur n’abandonne pas plus ſon esprit qu’une femme ſon viſage : la lettre a ſa réflexion comme le négligé ſa toilette. Cet apprêt, pour le dire en paſſant, eſt le défaut des lettres de Rouſſeau ; mais ôtez ſeulement le titre, & ce défaut n’en eſt plus un. Voici, à mon avis, la faute vraiment inexcuſable. La publication de ces lettres doit bleſſer pluſieurs de ceux qui les ont reçues ; on y trouve en effet des réponſes fort-humiliantes pour les faiſeurs de demandes.

On dira que leur nom eſt caché : mais qui répondra qu’il ne ſera point deviné ? Qu’une feule perſonne le fâche, & mille le ſauront. Dans cette espèce de commerce entre un homme célèbre & des hommes obscurs & fatigués de l’être, il eſt bien-rare que l’écrivain n’ait point de confident. Je ne ſais enfin par quelle fatalité tous ces noms ſupprimés ſont bientôt connus dans un ouvrage un peu célèbre : avant ſix mois on fait que M. tel eſt préciſément l’homme aux trois étoiles, lequel ayant écrit une lettre