Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/52

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pour éviter l’embarras de mauvaiſes écritures, on les imprime.

Le pire danger en divulguant une lettre, n’eſt pas tant de montrer les penſées de celui qui récrivit, que de montrer comme ſiennes les penſées qu’on ne doit point regarder comme telles.

1°. La perſonne à qui l’on écrit régie ſouvent le ton, le tour & le fond des penfées d’une lettre. Tel homme fort-réſervé en public ſur les matières de religion aura, par exemple, en écrivant à M. de Voltaire, pu s’abandonner à des plaiſanteries fort-éloignées de ſon caractère : publiez les lettres à M. de Voltaire avec les réponſes ; voilà un homme fort-mal jugé.

2°. La confiance qu’inspire une lettre fait négliger le choix de ſes penſées : on écrit celles du moment, & ſouvent elles ne durent qu’un moment.

3°. La nature du commerce des lettres exclut ſouvent auſſi le choix même du moment. On m’a écrit, je fuis preſſé de répondre : c’eſt un inſtant de chagrin ; je fuis atrabilaire & cenſeur ; je blâmerai peut-être tel que j’embraſſerois de tout mon cœur dans un meilleur moment.

Que conclure de tout cela ? Toujours la même aſſertion : qu’il n’eſt permis, ni en juſtice, ni dans la ſociété commune, de produire des lettres capables de cauſer la peine la plus légère à l’un des deux correspondans. Le tiers ne le peut pas, puisqu’il n’eſt pas même préſumé en connoître l’exiſtence. Celui qui a écrit ne le peut pas : il eſt cenſé en avoir fait un don à celui qui les a reçues. Celui-ci ne le peut