Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/53

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pas non plus, parce que ce don eſt conditionnel ; & la condition, c’eſt le ſecret. Voilà la règle : elle eſt auſſi bonne que générale ; les exceptions juſtes ſont infiniment rares, les violations infiniment dangereuſes.

C’eſt ici le lieu de remarquer qu’à cet égard notre barreau auroit grand beſoin de réforme : les lettres y font produites ſouvent comme les paroles y ſont proférées, ſans ménagement. Il me ſemble que cette loi ſeroit ſage, qui défendroit à tout plaideur de s’autoriſer d’une lettre ſans l’avoir auparavant remiſe dans les mains de quelques magiſtrats choiſis pour la vérifier. Eux ſeuls décideroient ſi ſa publicité eſt juſte & même indispenſable. J’ajoute encore en paſſant, que cette fonction qui rendroit un magiſtrat dépoſitaire ſingulier du ſecret de ſes ſemblables, offriroit un beau moyen d’honorer la ſageſſe, & de diſtinguer la prudence ; effet plus important qu’on ne penſe, & qui nous manque absolument pour le le bien de la magiſtrature. [1]

  1. Diſons-le ici, puisque l’occaſion s’en préſente : la magiſtrature eſt la profeſſion où la ſupériorité de raiſon, de ſageſſe & de ſcience eſt le mieux ſentie, & pourtant le moins diſtinguée. Tant qu’on aura pour règle de compter également toutes les voix, on aura pour maxime de les croire également bonnes. Or, quand on ſuppoſe le bien qui n’eſt pas, on ne corrige jamais le mal qui eſt, & ſuppoſer que tous les magiſtrats ſont également éclairés, c’eſt s’ôter tous les moyens de les rendre tels ou à peu-près ; & ſur cela, je répète que tout moyen d’honorer aux yeux du Public un ſage magiſtrat eſt à-la-fois heureux pour le Public & la magiſtrature. Celui que je propoſe ſeroit utile & ſimple il ſeroit puiſé dans les fonctions de la magiſtrature même, & l’honneur n’aîtroit de l’honneur.