Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/54

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Je n’oſe prononcer ſi l’abus des lettres eſt venu du barreau au Public, ou du Public au barreau ; mais, quoi qu’il en ſoit, ces deux choſes doivent avoir une grande influence mutuelle ; & ſi quelque cauſe peut ramener les mœurs publiques à la règle, c’eſt l’exemple des magiſtrats, & la déclaration authentique de leur opinion ſur la bonne foi & le ſecret des lettres.

Je l’ai déjà dit, & je le répète encore, j’honore le caractère des derniers éditeurs de J. J. Rouſſeau ; je respecte leurs intentions ; & dans tout ce qu’ils ont publié de lui, je les croîs parfaitement autoriſés par lui-même ; mais malheureuſement cet aveu de Rouſſeau n’eſt point aſſez manifeſte, & tout honnête homme fera toujours étonné en voyant, après la mort du citoyen de Genève, paroître au grand jour des écrits que, pendant ſa vie, il avoit retenus dans l’ombre. Cet uſage, ſi commun dans les éditions poſthumes, eſt ſans doute légitime dans celle-ci ; mais il peut autoriſer trop d’abus & paſſés & futurs. Ce qui favoriſe le plus les filous, c’eſt la facilité de ſe vêtir comme les honnêtes gens. Je vais donc eſſayer d’attacher un ſignal à cet abus, en attendant que les loix ou les mœurs y poſent une barrière.

Les penſées d’un homme ſont aſſurément la plus inconteſtable des propriétés. Mais avant l’invention de l’imprimerie, c’était la moins ſolide : une ſouris pouvoit ronger en 8 jours 30 années de réflexions. Depuis l’imprimerie au contraire, les penſées font la propriété la plus durable ; nul immeuble au monde n’eſt impériſſable autant qu’un bon ouvrage, & le ſol