Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/55

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le plus fertile ſera enſeveli ſous le ſable avant qu’un bon ouvrage ſoit enſeveli dans l’oubli.

Mais ſi, depuis cette invention, la propriété la plus heureuſe eſt celle d’un bon livre, il faut convenir que la plus onéreuſe eſt celle d’un ouvrage dangereux ou mépriſé ; & de-là ſuit cette règle inviolable, que l’auteur ſeul peut être juge d’un ſi grand intérêt, & qu’il n’eſt pas moins odieux d’imputer à un homme l’ouvrage qu’il n’a point avoué, que de lui conteſter injuſtement celui qu’il a publiquement reconnu.

Ces loix ſont généralement conſenties, & n’en ſont pas moins violées. Demandez ſi les penſées qu’un auteur n’a point encore publiées n’appartiennent pas à lui ſeul : on lèvera les épaules ſur la queſtion, & la réponſe ſe fera par acclamation. Dans ce même inſtant, annoncez avec myſtère la copie d’un manuſcrit ſurpris à J. J. Rouſſeau, à Montesquieu, &c. cela s’appelle un heureux larcin ; le voleur ou le receleur eſt publiquement envié & félicité, s’il eſt préſent, & déjà chacun prend date pour lire & partager le vol : qui blâmeroit un tel procédé s’expoſeroit infailliblement au perſiflage que s’attire un rigoriſme ridicule : ainſi, ſur cet objet, comme fur tant d’autres, rien ne reſſemble moins à nos actions que nos paroles.

Surprendre des manuſcrits, en faire circuler des copies, nommer, &, qui pis eſt, juger l’auteur ſur ces pièces, tout cela arrive fréquemment. Imprimer ce larcin en beaux caractères, arracher des cris à l’auteur qui ſe voit expoſé inopinément en public dans ſa nudité, craignant à-la-fois la critique, la ſatyre & le gouvernement ; tandis que l’auteur crie & proteſte,