Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/57

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Que de bruit, dira-t-on, pour les penſées d’un homme mort ! Mais ſongez, je vous prie, que ſi cet homme eût été bien-convaincu qu’on lui imputeroit après ſa mort des ouvrages qu’il n’a point faits, ou qu’il ne veut point paroître avoir faits, peut-être pendant ſa vie il auroit craint de faire aucun ouvrage. Songez que, pour encourager les auteurs vivans, il faut ſavoir respecter ceux qui ne font plus. Hélas ! la fortune d’un grand écrivain eſt bien-moins la gloire qu’il obtient que celle qu’il espère.

Cependant, que le dernier citoyen, avec quatre lignes d’écriture, forme un teſtament : cette feuille eſt une loi qui le fera obéir en ſouverain 100 ans peut-être encore après ſon trépas. Des mourans, quelquefois imbécilles, ou qui ne font plus que de vraies machines, peuvent à leur gré, remuer, bouleverſer le territoire de l’état, dire à l’un : ſoyez riche, à l’autre, ſoyez pauvre, troubler même l’ordre politique par la diſtribution vicieuſe des richeſſes, & cependant leur volonté ſera respectée ; & un homme de génie, l’honneur de ſa nation & de ſon ſiècle, ne ſera pas obéi un quart-d’heure après ſa mort, quand il s’agira de la propriété la plus ſacrée, celle de ſes penſées & de ſa gloire ! N’eſt-ce point une choſe évidente en effet, que tout auteur qui n’a point publié un ouvrage, eſt préſumé, par cela ſeul, n’avoir point du tout voulu qu’il fût publié, ou du moins qu’il le fût dans cet état ? Ainſi, par le fait même, un auteur a dit : Je ne veux point que ceci ſoit public ; & par le fait même, un éditeur a répliqué : & moi, je veux que ceci ſoit public. Comment qualifier cette