Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

action ? Je n’y ſais qu’une expreſſion : c’eſt un délit. En un mot, ſans une permiſſion expreſſe de l’auteur, toute publication de ſes ouvrages eſt une grande faute pendant ſa vie, une plus grande après ſa mort.

On a coutume d’objecter que ces écrits ſont quelquefois glorieux pour l’auteur & utiles au Public : mais qui doit juger un fait de cette espèce ? Eſt-ce l’auteur ? Eſt-ce l’éditeur ? Lequel doit le mieux connoître ce qui convient à la gloire de l’écrivain & à l’utilité des lecteurs ? Par le fait encore, l’auteur a dit : La publication de ceci ne convient point à ma gloire ; & par le fait encore, l’éditeur a répliqué : La publication de ceci convient à mes intérêts. Qu’un homme équitable juge entr’eux.

Souvent encore on allègue qu’il eſt utile de ſuivre & d’observer les progrès & le déclin de l’esprit humain dans les différens âges d’un auteur : demandez donc auſſi à un ſculpteur ſi, pour admirer la ſtatue d’Hercule dans ſa force, il va fouiller & chercher celle d’Hercule enfant. La ſeule choſe utile, c’eſt le bon & le beau. Je vous demande à voir un fleuve majeſtueux autant qu’utile ; je voudrois contempler des terres fertiliſées, la navigation animée, des ports remplis, des hommes enrichis par ſes eaux, & tantôt vous me faites remonter à ſa ſource pour découvrir quelques filets d’eau qui me font pitié, tantôt vous me montrez des débordemens & des ravages qui me font peur : ce n’étoit point ce que je demandois. Qu’ai-je beſoin de ces nouveaux exemples de l’humaine infirmité ? Qui ne fait, qui ne voit à chaque inſtant que la plus grande choſe a de foibles