Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/61

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l’infini ; & quand il aura vu rendre ce jugement mémorable, il faut qu’il ſe ſouvienne de cette règle fondamentale de tout ordre civil, que les droits du plus petit ſont inviolables comme ceux du plus grand ; que la propriété d’une chaumière eſt auſſi ſacrée que celle d’un palais, & qu’enfin abuſer des penſées du dernier des écrivains ou du premier génie de l’univers, aux yeux de l’équité, ces deux fautes ſont égales.

Or, maintenant voici la conſéquence importante que je tire de ces principes : c’eſt que tout écrit, tant qu’il n’a point été communiqué librement par l’auteur même, doit être aux yeux des autres comme s’il n’étoit pas ; & ſi quelqu’un commettant la faute de le lire, y trouvoit des choſes répréhenſibles, quel qu’il ſoit, magiſtrat, miniſtre ou prince, il doit agir & juger comme ſi l’auteur avoit mis à la marge : Récit de mon dernier rêve, ou comme s’il avoit écrit au bas : Je veux réfuter tout ce que deſſus : car après tout, ces deux cas font poſſibles : un auteur écrit ſouvent ſes penſées comme de vraies rêveries ; il peut auſſi avoir écrit pour réſuter.

Quelle application effrayante, mais utile, ne pourrois-je point faire de cette vérité aux empriſonnemens, aux condamnations qui n’ont eu pour fondemens que des papiers ſurpris dans la main des citoyens, condamnations auſſi juſtes dans leur genre que celle de ce ſultan qui fit un jour ouvrir le ventre à ſes pages pour découvrir celui qui avoit mangé un melon de réſerve ! Je ſoutiens en effet, que, ſelon l’exacte équité, on ne peut pas plus juger des pen-