Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/63

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s’en faiſit pour répandre le menſonge plus loin encore. A quoi ſert la poudre à canon ? A ſubjuguer les hommes, en tuant les corps à 500 toiſes ? A quoi ſert le plus ſouvent l’imprimerie ? A tourmenter les hommes, en tuant l’honneur à 500 lieues.

Ce n’eſt pas aſſurément un léger inconvénient de cet art merveilleux de l’imprimerie, que la déteſtable facilité de répandre en un moment la diffamation d’un homme d’un bout de l’Europe à l’autre ; que dis-je de l’Europe ? Son nom, plié en ballots, ira par mer & par terre amuſer les oiſifs des quatre parties du monde.

Mais, dira-t-on, l’imprimerie a rendu la juſtification auſſi facile que l’accuſation. Point du tout, & voilà le malheur. Le factum de la calomnie eſt toujours lu, parce qu’il amuſe ; mais qui ſe ſoucie de celui de l’innocence ? Il fait bâiller. Ecoutez ce que, pour l’ordinaire, on dit ſur une accuſation : Il faut ſe rendre ; cela eſt clair comme le jour. S’agit-il d’une apologie ? On écoute à peine, & l’on répond : Il reſte bien du louche encore dans cette affaire-là.

Depuis que tout s’imprime, jusques aux moindres chiffons de lettres, jusques aux propos qui ont à peine agité l’air un moment, nous avons vu les actions les plus ſimples, les plus ſecrettes, tourner en accuſations, & toute accuſation dégénérer en longues diffamations. Ce n’eſt point une chofe ſans exemple que la plus irréprochable vieilleſſe ait été déshonorée tout-à-coup par la révélation d’une faute de la première jeunefſſe. Une faute déjà expiée par de longs repentirs s’eſt vue ramenée encore au ſupplice de la