Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/64

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cenſure publique. Chofe miſérable & funeſte ! Nous risquons de forcer la vertu à regretter l’hypocriſie.

Que dans un moment de débauche, d’esprit ou d’efferveſcence des ſens, il vous ſoit arrivé de hazarder, en écrivant à votre ami, quelques doutes ſur votre religion, quelques principes ſuspects ſur la morale, ſur le gouvernement, quelque plaiſanterie cynique ; dites-vous bien qu’au moindre différend que vous aurez ou que vous n’aurez pas, au différend d’un autre peut-être, il ſe peut qu’un jour vos lettres imprimées, étalées dans un libelle ou dans un factum, vous traînent dans la fange publique comme un homme ſans religion, ſans principes, ſans mœurs.

On dit que le Public n’a point d’éternelles injuſtices : je le veux croire ; mais du moins il a de bien-longues erreurs. La maxime la plus commune de cette espèce de tribunal en France eſt qu’il ſuffit d’accuſer pour amuſer, & d’amuſer pour être cru ; & trop ſouvent, pour obtenir juſtice & faire caſſer ſon arrêt, il faut commencer par mourir.

J’ai oui ſoutenir que la liberté de l’imprimerie forme une espèce de magiſtrature redoutable, & comme un ſupplément à la cenſure qui nous manque. Quand cela ſeroit, il faut ſavoir ſi la cenſure nous convient. Il en eſt de la cenſure comme de certains remèdes qui purgent un corps robuſte, & ruinent un corps foible : la cenſure des mœurs ne convient qu’aux gouvernemens qui ont encore des mœurs, à ceux où l’opinion publique eſt ſaine. En deux mots, voulez-vous ſavoir où il eſt utile de cenſurer publiquement les vices ? Par-tout où les hommes ſavent