Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/65

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rougir de leurs fautes : mais dans tout gouvernement où les mœurs ſont corrompues, que fait la cenſure publique ? Elle accoutume à elle-même, elle endurcit les hommes contre l’opinion, comme les enfans s’endurciſſent par les châtimens ; enfin elle leur donne le plus terrible des courages : le courage de la honte.

Depuis quinze ans ou environ, que nous ſommes inondés de toutes ces accuſations, que les livres en fourmillent, que les tribunaux en retentiſſent, que le Public s’en occupe, quel bien en eſt-il réſulté pour nos mœurs ? Je puis me tromper, & je ſouhaite ſincèrement qu’on me le reproche avec juſtice ; mais, autant que j’ai pu le voir, il me ſemble que les hommes que notre ſingulier langage appelle excluſivement hommes du monde (comme ſi un ſolitaire ou un laboureur n’étoient que des ombres ou des ſpectres,) ces hommes, dis-je, ſe ſont partagés en deux claſſes : les uns paroiſſent ſe ménager encore & craindre le Public ; on les croiroit liés aux anciennes bienſéances ; mais ce lien n’eſt qu’un fil pourri dans un air infecté. Leur deviſe eſt ceci : Respect aux loups, careſſe aux ſinges, & mépris aux agneaux. L’autre claſſe eſt compoſée d’hommes, & ſur-tout de jeunes gens, qui ne ménagent rien & bravent le Public. On les appelle hommes inſoucians, hommes libres, & même philoſophes. La deviſe de ces gens-ci eſt beaucoup plus ſimple, & la voici : Indifférence à tous. Leur nombre s’en va croiſſant de jour en jour ; ſous le nom de douce incurie, règne parmi les hommes de cette espèce une indifférence profonde ; & je ne