Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/68

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ces deux vérités. Quelle eſt donc dans une monarchie l’autorité qui punit & récompenſe le plus ? L’opinion publique ; principe qui ne s’y confond point avec les loix, comme dans la république ; principe qui ſouvent même eſt contraire aux loix ; mais n’en eſt pas moins un des plus grands reſſorts de la monarchie. Or, le respect pour l’opinion publique n’eſt & ne peut être que le réſultat de la déférence pour l’opinion du plus grand nombre des particuliers, & je défie qu’on deſire beaucoup l’eſtime d’une nation dont on mépriſera la plupart des individus. Que faut-il donc pour entretenir ce respect pour l’opinion publique ? Si les mœurs ſont bonnes, il n’y aura rien à faire ; les hommes s’eſtimeront mutuellement, parce qu’ils ſe ſentiront eſtimables.

Mais ſi les mœurs ſont corrompues, je dis alors qu’il faut empêcher les hommes de dire trop librement ce qu’ils penſent les uns des autres, de révéler en quelque ſorte au Public le ſecret de ce qu’il eſt ; & pour tout dire, il faut que le Public s’eſtime toujours plus qu’il ne vaut. Alors il eſt néceſſaire de maintenir ces loix de l’opinion qui établiſſent des égards d’une condition à l’autre & d’un homme à un autre ; loix qui font que les concitoyens n’oſent point regarder ou écouter, ou du moins publier tout ce qui ſe fait & ſe dit à côté d’eux ; loix qui ſemblent donner à chaque condition, à chaque homme, une espèce d’enceinte que les yeux & les diſcours des autres ne franchiſſent point ſans quelque pudeur. De cette circonspection mutuelle des particuliers ſuit infailliblement le respect pour le Public, parce que le