Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/69

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particulier respecte le Public ſelon qu’il ſe respecte lui-même. Enfin l’effet de ces loix eſt tel que dans la ſociété générale, tous conſervent aux yeux les uns des autres un certain poids, une certaine valeur ; & c’eſt la réunion de ces valeurs, ſoit réelles, ſoit imaginaires, qui fait le prix ſi réel de l’opinion publique.

Si dans un gouvernement monarchique, où les hommes ſont déjà corrompus ou dispoſés à ſe corrompre, vous inventez un art tel que la penſée la plus intime & la plus ſecrette puiſſe être communiquée à tout le Public en un moment ; ſi cet art eſt tel que cette publicité ſoit auſſi durable que rapide ; ſi l’auteur de ces penſées peut les publier ſans aucun péril pour lui-même ; s’il peut même en espérer une eſtime particulière ; ſi cette eſtime eſt proportionnée au plaiſir que chacun trouve à ſavoir ce que cet auteur a penſé ; ne doutez pas qu’un tel art ne ſoit plus ſouvent employé à divulguer des calomnies ſur les perſonnes, que des vérités ſur les choſes, parce que tous voulant être préférés & nul, par conſéquent, ne ſe croyant aſſez eſtimé, chacun a beſoin de ſe venger de ſes juges en les eſtimant moins à ſon tour.

De toutes ces révélations ſucceſſives & continuelles, ſe forme enfin ſur une nation une lumière odieuſe & générale. Il vient un moment où l’homme vicieux, regardant autour de lui, ne découvre plus que des complices dans ceux qu’il regardoit auparavant comme des juges : il vient un moment où tous ſe rapprochant les uns des autres, ſe diſent ſans ſe parler : Nous ſommes donc les mêmes, tous vicieux &