Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/83

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de prétendus ennemis s’aviſent de crier à l’ingratitude ; mais à qui la faute du reproche ? Enfoncez dans l’eau le bâton le plus droit ; il paroîtra courbe : que l’homme d’ailleurs le plus intègre s’enfonce en pluſieurs querelles avec ceux qui ont voulu l’obliger & paru l’aimer ; il paroîtra infailliblement ingrat ; & je ne ſais au fond ſi ce ſeroit un jugement ridicule de regarder vingt différends bien fondés comme un tort très-bien fondé dans le commerce des hommes. C’eſt, dit-on, une grande folie de croire toujours avoir raiſon ; mais c’eſt une folie ſouvent dangereuſe de montrer toute la raiſon qu’on a : or, Rouſſeau a l’un de ces deux torts.

Dans la célèbre querelle entre Hume & Rouſſeau, c’eſt-à-dire, entre le jugement & l’imagination, examinez de ſang-froid de quel côté furent l’emportement & les accuſations téméraires. Le bras de Jean-Jacques ne tint-il pas un moment David Hume ſuspendu ſur l’opprobre ? Si ſa vie toute entière ne l’eût ſoutenu, n’y tomboit-il pas ſans reſſource ? Ne trouverez-vous pas même encore des des hommes qui pouſſent l’illuſion juſqu’à prétendre qu’il y eſt ou doit y être ? En un mot, M. Hume ne fut-il pas en un ſeul inſtant plus réellement tourmenté par Rouſſeau que jamais dans toute ſa vie Rouſſeau n’a été tourmenté par les autres ? Cet homme étoit véritablement comme la poudre : à peine il ſe ſentoit ou ſe croyoit ſerré, qu’il faiſoit tout éclater autour

    très-importante, quand il s’agit d’un auteur qui a tant écrit ſur les choſes & les perſonnes, & qui fait tout lire avec la même avidité.