Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/84

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de lui. Tous ceux qu’il a ſi violemment comprimés, ont-ils éclaté de même ? Il faut convenir enfin, que ſi les hommes ont ſouvent manqué de juſtice à l’égard des hommes célèbres, Rouſſeau n’en eſt pas le plus grand exemple.

Qu’on examine en effet, ſi tous nos grands écrivains ont été auſſi ménagés. Fontenelle, ſi doux, ſi paiſible, ſi diſcret, Fontenelle, qui prit toute ſa vie tant de ſoin de cacher aux hommes qu’il ſavoit le ſecret de leur ſottiſe ou de leur méchanceté, Fontenelle eut beau faire, & la ſeule anecdote des asperges eſt devenue triviale, & plus diffamante que tout ce qu’on a jamais publié contre Rouſſeau.

Voltaire, dont la vieilleſſe bienfaiſante fut tant célébrée, vit ſa jeuneſſe & ſa virilité flétries par les plus odieuſes accuſations ; toutes ſes preuves reſtoient inutiles : il montroit des bienfaits, & l’on voyoit des larcins ; dans le nid d’une bonne action ſes ennemis gliſſoient des ſerpens ; enfin c’eſt une choſe remarquable à l’égard de Voltaire, qu’on a fait les meilleures critiques de ſes ouvrages & les plus mauvais comme les plus odieux libelles ſur ſa perſonne. Presque toute l’hiſtoire littéraire ſeroit une preuve de ce que j’ai avancé : vous y voyez par-tout le ſarcaſme, la ſatyre, la calomnie, tantôt en écrits, tantôt en actions, s’attacher aux gens de lettres comme une espèce d’épidémie qui leur eſt propre, & la plupart ne guériſſent ces maux que par leur excès même : car ſi un peu de calomnie déſole, beaucoup de calomnie conſole.