Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/85

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Je terminerai ce que j’ai dit jusqu’à préſent ſur Rouſſeau par un réſultat fort-ſimple, & qui convient à presque tous les hommes intègres, mais impétueux & paſſionnés ; voici ce réſultat en deux mots : pluſieurs actions de Rouſſeau l’accuſent, mais presque toutes ſes intentions l’excuſent. Celui qui ſéparera ces deux choſes, blâmera ou louera Rouſſeau avec excès ; mais l’homme impartial, tenant un juſte milieu, ſaura plaindre également les ennemis de Rouſſeau & lui-même. Il ſe pourroit bien, il eſt vrai, que cet homme impartial déplût aux ennemis, comme aux amis : car les partis modérés ne contentent perſonne : nous voulons bien qu’on doſe nos remèdes ; mais nous ne ſouffrons pas qu’on doſe nos jugemens. Les uns voudront toujours que Rouſſeau n’ait été qu’un hypocrite orgueilleux, & les autres en feront un Socrate à qui l’envie préſenta vingt fois la cigue ; nous dirons ſimplement : Rouſſeau étoit un homme de génie, & le génie eſt une espèce d’ivreſſe, à-peu-près comme celle du vin, qui très-ſouvent rend le même homme plus aimable, plus tendre & plus querelleur tout enſemble.

Que la diſtance, en effet, eſt grande entre l’homme de génie & l’homme ſage, & combien Rouſſeau l’a fait remarquer ! L’union de la ſageſſe & du génie eſt ſans doute un des plus beaux ouvrages de la nature ; Newton en offre un grand exemple ; mais que cette union eſt rare ! L’hiſtoire de l’esprit humain compte ces hommes comme la géographie compte 5 ou 6 grands pics ſur la ſurface de la terre. Dans la ſéparation presque néceſſaire de