Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/86

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ces qualités oppoſées, qui pourroit, ſi le choix étoit libre, balancer un moment ? Demandez au citoyen de Genève quelle admiration peut conſoler jamais de la paix pour ſoi-même, de l’amitié de quelques-uns, & la bienveillance de tous. Ah ! faiſons-nous aimer, & ſe faſſe admirer qui pourra ! Qu’eſt-ce donc qui fait ce génie ſi vanté ? L’imagination ſur-tout, que Malebranche appeloit, avec tant de vérité, la folle du logis. La ſageſſe n’eſt que l’ouvrage du ſimple jugement : le vulgaire l’appelle raiſon, & croit, en diſant cela, n’avoir dit que peu de choſe. Elle conſiſte ſur-tout à bien voir ce qui eſt, & le génie ne s’applique qu’à imaginer ce qui a été, ou ce qui ſera, ou ce qui peut être ; c’eſt le talent de former de nouvelles combinaiſons de cauſes & d’effets : auſſi le génie ſe fait-il à lui-même un monde imaginaire, ou tout au plus poſſible, eſpèce de région où peu de vrais admirateurs voyagent, & où ſeulement quelques enthouſiaſtes réſident. La ſageſſe au contraire, habite paiſiblement ce monde réel, qu’elle s’occupe ſans ceſſe à reconnoître. L’homme de génie & l’homme ſage diſent tous les deux des vérités : l’un dit celles qu’il devine ; l’autre, celles qu’il apperçoit ; mais quelle différence dans le ſuccès ! Tandis que l’homme de génie fait perſécuter ſa vérité, l’homme ſage fait accepter la ſienne. En effet, qu’on le remarque bien, les hommes ne perſécutent pas tant la vérité que la manière de la dire ; & malheureuſement la manière de l’homme de génie eſt grande, forte & presque violente. Emploie-t-il l’ironie ? C’eſt un poignard. Uſe-t-il du raiſonnement ? C’eſt une maſſue.