Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/92

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alors à la patrie les ſacrifices les plus éclatans & les plus héroïques dont l’hiſtoire faſſe mention : toujours inébranlable dans ma croyance, je n’ai point héſité d’affurer avec lui que nous n’avions ni muſique, ni vertus, ni liberté, ni patrie.

Je fuis fermement perſuadé qu’il a rendu au genre-humain un ſervice ſignalé, lorſqu’il a enſeigné l’art de corrompre une jeune fille, & de l’entraîner aux plus grands excès par les preſtiges d’une fauſſe philoſophie ; lorſqu’il a repréſenté une femme auſſi tranquille qu’avilie, comme un modèle unique de vertus, & un mari méchant & infame ſans motif, comme un exemple rare d’honnêteté ; lorſqu’enfin mêlant avec tant d’adreſſe la vertu & le vice que l’œil le plus ſubtil ne peut les diſcerner, il a appris aux hommes à marcher ſans ceſſe ſur le bord des précipices, à careſſer le danger & non à le fuir, à mourir paiſiblement, en nourriſſant juſqu’au dernier ſoupir une paſſion adultère, & à faire de la philoſophie l’opium du remords, & le calmant de la conſcience.

Il aſſure que tout eſt mal dans l’homme vivant en ſociété, & que le bien de l’un fait néceſſairement le mal de l’autre ; la ſociété devroit donc ſe diſſoudre, & cependant elle ne ſe diſſout point, elle exiſte de tout tems : j’en conclus que les hommes ne ſentent rien : elle eſt tranquille, les hommes ſont donc des lâches ; elle eſt chérie de tous ceux qui la compoſent, & ils n’aſpirent qu’à la maintenir : je ſoutiens à la face de la terre, que tous les hommes ſont inſenſés, & les myſtères les plus démentis par l’expérience ne ſauroient ébranler ma foi inaltérable.