Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/95

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de commencer ſon éducation dès le berceau : la conſéquence faute aux yeux.

D’abord je le fis rouler pendant longtems dans un pré ; enſuite, pour l’exercer à la raiſon, je le ſoumettois par la force ; je prenois plaiſir à feindre de l’ignorance & à me faire mépriſer de lui, afin de lui inſpirer plus de reſpect & de confiance ; enfin toute ſon inſtruction n’étoit qu’un tiſſu de petites ſupercheries de ma part, qui ne pouvoient que le diſpoſer merveilleuſement à l’amour de la vérité.

J’avois grand ſoin d’exercer le corps de mon fils aux ſouffrances, pour le rendre plus capable d’y réſiſter dans tous les tems de ſa vie, & j’évitois attentivement de fortifier ſon cœur & ſon eſprit par de pareils exercices : je préparois ſon ame par le repos, comme ſon corps par la fatigue ; peut-être n’étois-je pas conſéquent ; mais l’obéiſſance me tenoit lieu de raiſonnement, & je conduiſois ce cher enfant ſur les toîts des maiſons, pour y faire des aſſemblages de charpente ; mais je me gardois bien de lui faire aſſembler des penſées.

Une ſeule choſe m’inquiétoit : c’eſt que mon maître n’avoit preſcrit aux enfans aucune eſpèce de devoirs vis-à-vis de leurs parens ; je n’oſai donc lui donner aucune inſtruction ſur ce ſujet, d’ailleurs ſi peu important ; je me bornai ſimplement à lui inſpirer un vive tendreſſe pour ſa nourrice, & d’en faire ſa compagne le reſte de ſa vie, à la manière des princeſſes grecques.

Pour ne point perdre de tems, je le conduiſois adroitement à trouver de lui-même en un mois, ce