Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/96

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que j’aurois pu lui faire comprendre en quelques minutes. Il étoit déjà mécanicien, aſtronome, phyſicien, géomètre, deſſinateur, & il n’avoit encore nulle idée d’un être-ſuprême ; il eût été trop difficile de lui dire : Qui eſt-ce qui a fait tout ce que vous voyez ? Cet être s’appelle Dieu : il vous a donné l’exiſtence à vous-même ; vous lui devez donc de la reconnoiſſance. Il comprenoit très-bien cent problêmes de géométrie ; il n’auroit pu former cette ſimple réflexion : c’eſt ce que mon maître a prouvé invinciblement à ſa manière.

J’attendis de même avec prudence l’âge où les paſſions ſe développent avec la plus grande force, pour dire à mon élève : Mon fils, il faut apprendre à vous vaincre. Juſques-là je lui avois permis de ſatisfaire toutes les paſſions de l’enfance, pour le diſpoſer à combattre celles de la jeuneſſe.

Enfin je lui enſeignai la religion, c’eſt-à-dire, à mépriſer ſouverainement celle de ſon pays, que je reconnoiſſois pourtant pour la meilleure de toutes : je lui appris que l’Evangile eſt un livre divin & abſurde ; que la vie & la mort de Jéſus-Chriſt ſont d’un Dieu, & que ſes dogmes ne font qu’impoſture : toutes ces choſes ſuivent néceſſairement l’une de l’autre.

Je terminai ſon éducation par quelques inſtructions particulières ; je lui dis : Mon fils, l’iniquité des chefs & des magiſtrats vous dépouillera peut-être demain de toute votre fortune ; c’eſt une choſe qui arrive tous les jours, que je vois ſans ceſſe, & que je vois tout ſeul : il faut donc que vous appreniez un métier