Page:Servan - Réflexions sur les Confessions de J. J. Rousseau, 1783.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donc que des devoirs violés. Plus de devoirs remplis par-tout où les hommes ſe cherchent & s’approchent ; la ſomme du bien l’emporte donc ſur la ſomme du mal.

Et moi, je profeſſe hautement que, bien-loin d’avoir de bonnes loix, nous n’avons pas même une définition du mot de Loix ; qu’il eſt impoſſible que l’homme ſoit injuſte, lorſqu’il peut l’être impunément ; que tous les hommes vivans en ſociété s’égorgent ſans s’en apperçevoir, & que ce ſont les peuples policés qui ont inventé l’art de rôtir les hommes à petit feu & de les manger ! & je dis, anathême à ceux qui penſent autrement.

Je tiens pour certain que lorſque les loix ont dit : Gardez-vous de nuire à perſonne, rendez à chacun ce qui lui eſt dû, elles ont néceſſairement corrompu tous les cœurs, & que lorsque la religion nous a commandé de faire à autrui tout le bien qui eſt en notre pouvoir, & d’aimer notre prochain comme nous-mêmes, elle a ouvert la porte à tous les crimes.

Je déclare que la liberté indéfinie eſt un bien inaliénable de l’homme, quoique l’homme l’aliène ſans ceſſe, par-tout & volontairement. Je ſoutiens que le premier qui a dit : Je promets, je m’engage, ainſi que tous ceux qui répètent ces termes horribles, ſont autant de violateurs de la nature humaine. Je ſoutiens que le lâche qui oſe dire : Je ferai telle action, ou je m’en abſtiendrai, parce que je le dois, blaſphème baſſement contre la dignité de ſon être : car s’il y a un ſeul devoir naturel, la liberté infinie n’exiſte plus : s’il y a un devoir contracté, la liberté eſt aliénable : j’anéantis ainſi d’un ſeul coup toute ſociété, tout