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CYRANETTE

Robert, à cette poignante évocation de la patrie lointaine, où il retrouve ses propres nostalgies de soldat, ne sait comment retenir les soupirs qui l’oppressent. Mais Liette s’en aperçoit et ne va pas plus loin.

— Oh ! darling, ne voyez pas là un reproche. J’ai le mal du pays, mais vous n’y êtes pour rien.

— Je ne sais, balbutie-t-il. Si je vous avais enveloppée de plus de soins et de tendresse, le spleen ne vous ravagerait pas.

— Ni vos soins, ni votre tendresse ne m’ont manqué, darling. Mais — et c’est où il me fallait en venir — je n’avais pas droit à votre amour, puisque votre cœur ne vous appartenait plus.

Un tressaillement involontaire trahit le jeune homme, lors même qu’il proteste :

— Oh ! chère aimée, pouvez-vous bien… ?

— Ne m’appelez pas ainsi. Appelez-moi plutôt votre enfant, bien que, je vous l’ai dit, je ne sois plus la petite chose frivole et fantasque qui s’est jetée étourdiment en travers de votre bonheur.

— Que voulez-vous dire, Liette ? balbutie-t-il dans son émoi.

— Quelque chose de beaucoup plus douloureux encore pour moi que pour vous, mon ami. Quelque chose que je n’oserais jamais vous dire si je n’en étais au chapitre de la mort.

— De la mort ! Vous, Liette ? Quelle idée !

Elle se blottit contre lui, qui semble lui faire rempart de sa force et de son affection.

— Ce n’est pas une idée, c’est une conviction, une certitude que j’ai depuis quelques jours. Je ne reverrai pas ma Savoie. Et si papa et maman, si ma chère sœur Denise et notre bon M. le Curé n’arrivent pas bientôt, je sais que je ne les reverrai pas non plus.

— Nonsense ! s’efforce-t-il de se récrier bravement. Auriez-vous encore de la fièvre ?

Liette hocha la tête : elle a senti frissonner le jeune homme, qui ne sait pas mentir.