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CYRANETTE

pouvait se faire aimer vraiment de lui, comme une sweetheart de son sweetheart, sut être une si gentille petite femme et se faire chérir comme un enfant ?

— My child !… My own dear little child !

— Ne pleurez pas, Robert, ou je vais pleurer aussi et ce n’est pas le moment, puisque, dites-vous, père, mère, Nise et M. le curé sont sur le point d’arriver. J’aime mieux chanter, chanter encore… Oh ! laissez-moi chanter encore un peu, mon ami ! Rien qu’un couplet, pendant que le soleil me caresse et m’empêche de tousser. Le soleil, c’était ma vie, à moi. Le soleil et la neige, comme l’edelweiss qui pousse dans l’une et fleurit dans l’autre. Et vous savez, darling, en France, tout finit par des chansons.

Il se raidit, parvient à sourire comme elle.

— Ne vous fatiguez pas, my child.

— Au contraire. Je vais me mettre l’âme en fête pour mieux accueillir les miens… Vous vous rappelez, Robert, le jour où nous étions allés au Bourget avec Denise ? Le lac était si beau, vers le soir, avec ses eaux bleues, roses et violettes, que, si je vous avais écouté, nous aurions manqué le dernier train à force de nous attarder dans leur contemplation. Denise rêvait comme vous. Et moi, petite folle, je fredonnais je ne sais quoi, tout ce qui me passait par la tête, quand vous me demandâtes le Lac de Lamartine. Mais je ne voulus pas le chanter. Un caprice. Et je ne chantai que le Temps des Cerises, comme pour faire un peu plus de peine encore à ma pauvre sœur :

J’aimerai toujours le temps des cerises
C’est de ce temps-là que je garde au cœur
Une plaie ouverte !
Et dame Fortune, en m’étant offerte,
Ne pourra jamais fermer ma douleur…

« J’ai été bien vilaine ce soir-là, mon ami. Mais ne mentais-je tant à moi-même en persiflant :