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LE CONTE DU CHEVALIER.

qu’Arcite demain me traverse le cœur avec sa lance. Peu m’importe de perdre la vie, si Arcite doit épouser Émilie. Voilà la substance et la fin de ma prière. Accordez-moi mes amours, bienheureuse dame !

Quand l’oraison de Palémon fut terminée, il offrit un sacrifice, et à la fin la statue de Vénus tremble et fit un signe dont il conclut que sa prière était agréée, et, le cœur joyeux, il s’en retourna chez lui.

Trois heures après que Palémon était sorti pour aller au temple de Vénus, le soleil se leva, et Émilie se leva, et elle se rendit au temple de Diane ; quand le feu fut allumé, avec une humble contenance elle parla ainsi à la déesse :

— Ô chaste déesse des forêts verdoyantes, qui domines le ciel et la terre et la mer, reine du royaume sombre et infini de Pluton, déesse des vierges, toi qui connais mon cœur depuis nombre d’années et en sais tous les désirs, préserve-moi de cette rancune et de ce courroux terrible qu’eut à subir Actéon, si tu reconnais, chaste déesse, que mon vœu le plus cher est de rester vierge toute ma vie, et de ne jamais être ni amante ni épouse. Je suis, tu le sais bien, de ta compagnie. Vierge, j’aime la chasse et la vénerie, j’aime errer dans le bois sauvage, et je souhaite ne jamais être épouse et mère, et ne jamais connaître la société de l’homme. Assiste-moi donc, ma dame, de toute ta puissance et sous ta triple forme. Pour Palémon, qui a pour moi un tel amour, pour Arcite, qui m’aime si douloureusement, je te demande une grâce : rétablis entre eux l’amitié et la concorde ; détourne de moi leurs cœurs, en sorte que toute leur ardente affection et tous leurs désirs brûlants s’éteignent ou se tournent vers un autre objet ! Et, si tu ne veux pas m’accorder cette grâce, s’il est écrit dans ma destinée que je dois posséder l’un des deux, accorde-moi celui qui a pour moi le plus d’amour.

Les feux flamboyaient au-dessus de l’autel illuminé,