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LES APOCRYPHES.

suicides, parricides, pendaisons, assassinats, empoisonnements, — entassées par le dramaturge Kid dans un seul dénoûment, et dites-moi si Titus Andronicus, avec ses jeux de scène féroces, ses viols, ses mutilations et ses tueries, n’est pas le digne contemporain du Juif de Malte et de Jeronimo.

Titus Andronicus m’apparaît donc comme un ouvrage type, caractérisant ce genre dramatique primitif dont devait faire justice la réforme shakespearienne et qui avait encore ses partisans au dix-septième siècle, ainsi que le prouve le sarcasme de Ben Jenson. Ce sauvage Titus Andronicus, si contraire au génie civilisateur de Shakespeare, était-il une conception de Shakespeare, comme le prétendent les commentateurs allemands ? Un fait incontestable et resté jusqu’ici inaperçu permet d’affirmer que non. Le compilateur Langbaine, ayant sous les yeux un exemplaire de la première édition de Titus Audrontcus, — édition publiée à Londres en 1594 et aujourd’hui complètement disparue, — déclare, dans son Histoire des poëtes dramatiques anglais (1691), que ce Titus primitif fut joué, non par la troupe du lord chambellan pour laquelle Shakespeare travaillait exclusivement, mais par des troupes rivales, les troupes des comtes de Derby, de Pembroke et d’Essex. On n’a jusqu’à présent tenu aucun compte de cette assertion de Langbaine, et elle me semble absolument décisive. Si dans l’origine Titus Andronicus n’a pas été représenté par la troupe dont Shakespeare était membre, c’est qu’évidemment Shakespeare n’en était pas l’auteur. Le drame, imprimé en 1594, portait d’ailleurs un titre différent de celui qui lui fut assigné plus tard par les deux éditions de 1600 et de 1611 ; il s’appelait, non pas comme dans ces deux éditions, la très-lamentable tragédie romaine de Titus Audronicus, mais bien la noble tragédie romaine, ainsi que le prouve cette inscription encore visible sur les registres du Stationers’hall :