Page:Shakespeare - Œuvres complètes, Laroche, 1842, vol 1.djvu/19

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NOTICE SUR SHAKSPEARE. ix mantes, où l’on ne peut blâmer qu’un peu trop de licence ; Massinger, dont le talent énergique et pur est empreint d’une émotion si chaleureuse et si vraie ; Ford et Webster, si dignes de marcher sur ses traces ; Benjamin Johnson surtout, chef d’une école à part, s’éloignant de Shakspeare par la forme, son heureux rival dans la comédie, ramenée par lui aux proportions classiques et à la peinture savante des caractères ; voilà les hommes qui restaient pour continuer l’œuvre de Shakspeare ; si l’on ajoute à ces hommes, l’éternel honneur de la muse dramatique, un autre génie non moins éclatant dans une direction différente, Spenser, l’immortel auteur de Fairy Queen, épopée ravissante dont l’antiquité ne nous offre point le modèle, dont rien depuis n’a surpassé la poésie magique, la grâce enchanteresse, on doit reconnaître que ce n’est pas à tort que le siècle d’Élisabeth a pris place dans l’admiration des hommes à côté des siècles d’Auguste, de Périclès, de Léon X et de Louis XIV. Quant à Shakspeare, l’astre le plus brillant de cette glorieuse pléiade, sa place lui est depuis longtemps assignée à côté d’Homère, de Dante et de Milton, de ces phares lumineux qui dominent et qui éclairent toute une époque. Oii est le temps où Voltaire, du haut de son orgueil académique, traitait Shakspeare de barbare, de sauvage ivre, et appliquait à ses œuvres l’honnête procédé de traduction qu’il avait essayé pour la Bible ; où Letourneur, dans sa prose traînante et décolorée, étouffait l’énergique et naïve expression du cygne de l’Avon sous le luxe burlesque de ses circonlocutions, et passait sans façon les scènes qui n’étaient pas à sa convenance, comme’on se détourne en marchant du lépreux dont on craint le contact ; où Ducis, prenant ce grand homme sous la protection risible de ses monotones et lourds alexandrins, travestissait classiquement ses plus nobles chefs-d’œuvre ? Quelle affligeante mutilation du génie ! Voyez ; sous la cognée, instrument de dommage, l’arbre est dépouillé de ses pittoresques rameaux, du luxe de son feuillage ! il n’en reste plus qu’un tronc mort et défiguré. Othello est devenu un matamore drapé en empereur romain ; le roi Léar un Cassandre classique ; Roméo et Juliette, oubliant leur naïf et poétique amour, sont devenus des marionnettes débitant leurs transports en hémistiches mesurés, en tirades correctes ; procédé expéditif en effet, véri