Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 6.djvu/295

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SUR Jttcinaan 11. 293

L’eñtreprise du comte d’Essex eut lieu en 1604, et la pièce de Shalispeare avait paru, à ce Îqu’on croit, dès' l’an*1597. Malgré cette antériorité, personne ne sera tenté de soupçonner qu’une pièce de Shalispeare ait pu figurer dans une entreprise factieuse contre Élisabeth. D’ailleurs la pièce en question paraît avoir été connue sous le titre de Henri IV, non sous celui de Richard YI ; et l’on est même fondé croire que l’histoire de Henri IV en était le véritable sujet, et la mort de Richard seulement un incident. Mais, pour lever toute espèce de doute, il suffit de lire la tragédie de Shakspeare ; la doctrine du droit divin y est sans cesse présentée accompagnée de cet intérêt que font naître le malheur et le spectacle de la grandeur déchue. Si le poète n’a pas donné a l’usurpateur cette physionomie odieuse qui produit la haine et les passions dramatiques, il suffit de lire l’histoire pour en comprendre la cause.

Ce n’est pas un fait particulier à Richard II et à sa destinée, dans l’histoire de ces temps désastreux, que ce vague de l’aspect moral sous lequel se présentent les hommes et les choses, et qui ne permet aux sentiments de s’attacher in rien avec énergie, parce çpfils ne peuvent se reposer sur rien avec satisfaction. Des partis toujours aux prises pour s’arracher le pouvoir, tour il tour vaincus et méritant leur défaite, sans que jamais un seul ait mérité la victoire, n’offrent pas lun spectacle très-dramatique, ni très-propre à porter nos sentiments et nos facultés îi ce degré d’exaltation qui est un des plus nobles buts de Part. La pitié y manque souvent alïndignation, et l’estime presque toujoursîila pitié. On n’est pas embarrassé à trouver les crimes du plus fort, mais on cherche avec anxiété les vertus du plus faible : et le même effet se reproduit dans le sens contraire : des folies, des déprédations, des injustices, des violences ont amené la

chute de Richard, l’ont rendue inévitable, etelles nous détachent de

lui sous ce double rapport que nous le voyons se perdre lui-même ei impossible a sauver. Cependant il serait aisé de trouver au moins autant de crimes dans le parti qui triomphe de son abaissement. Shakspeare pourrait, a peu de frais, amasser contre les rebelles des trésors d’indignation qui soulèveraient tous les coeurs en faveur du souverain légitime : mais un des principaux caractères du génie de Shakspeare, c’est une vérité, on peut dire une fidélité d’observation qui reproduit la nature comme elle est, et le temps comme il se présente : celui-la ne lui oH’rait ni héros supérieurs a leur fortune, ni victimes innocentes, ni dévouements héroïques, ni passions imposantes ; il n’y trouvait que la force même des caractères employée au service des intérêts qui les rabaissent, la perfidie consi-