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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 4.djvu/252

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menez-vous donc maintenant, qu’il faille que vos pauvres amis vous fassent la cour ? —Mais quoi vous avez l’air gai.

JACQUES.—Un fou ! un fou !… J’ai rencontré un fou dans la forêt, un fou en habit bigarré[1]. O misérable monde ! Comme il est vrai que je vis de nourriture, j’ai rencontré un fou qui s’était couché par terre, se chauffait au soleil, et invitait dame Fortune, mais en bons termes et bien placés, et cependant un vrai fou qui en portait la livrée.—Bonjour, fou, lui ai-je dit.—Non, monsieur, m’a-t-il répondu, ne m’appelez pas fou, jusqu’à ce que le ciel m’ait envoyé la Fortune[2].—Ensuite il a tiré un cadran de sa poche, et après l’avoir regardé d’un œil terne, il a dit très-sagement : « Il est dix heures ; —c’est ainsi, a-t-il continué, que nous pouvons voir comment va le monde : il n’y a qu’une heure qu’il n’en était que neuf, et dans une heure il en sera onze ; et ainsi d’heure en heure nous mûrissons, mûrissons, et ensuite d’heure en heure nous pourrissons, pourrissons, et là finit notre histoire. » Quand j’ai entendu ce fou bigarré moraliser ainsi sur le temps, mes poumons se sont mis à chanter comme le coq, de voir des fous si profonds en morale ; et j’ai ri sans relâche, pendant une heure entière à son cadran.—O noble fou ! un digne fou ! Oh ! un habit bigarré est le seul que l’on doive porter.

LE VIEUX DUC.—Quel est donc ce fou ?

  1. Motley fool, Motley, bigarré, le costume des fous se rapprochait de celui des arlequins.
  2. :Fortuna favet fatuis.
    Fortuna nimiùm quem favet, stultum facit. (P. SYRUS.)