Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/455

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Pourquoi vivrait-elle maintenant que la nature a
fait banqueroute, et qu’elle n’a plus de sang qui puisse rougir à
travers des veines animées ? Elle n’a plus maintenant d’autre trésor que
lui, et fière de tous les yeux, elle en vit uniquement. Elle le conserve
précieusement pour montrer comme elle était riche autrefois, avant les

derniers temps qui ont été si mauvais.


Sonnets
LXVIII
Ses joues sont comme la carte des joues passées, lorsque la beauté

vivait et mourait, ou encore comme les fleurs, avant qu’on portât ces
insignes bâtards de la beauté, avant qu’ils osassent se fixer sur le
front d’un vivant ; avant qu’on eût appris à raser les chevelures dorées
des morts, ces dépouilles auxquelles les sépulcres ont droit, pour vivre
une seconde fois sur une seconde tête, avant que les tresses d’une
beauté morte en eussent paré d’autres, on avait en lui les saints jours
du temps passé. C’est lui-même, sans ornement, sincère : il ne se fait
pas un été de la verdure d’autrui ; il ne dépouille pas ce qui est vieux
pour orner de nouveau sa beauté, et la nature le conserve comme un

tableau pour montrer à ce faux art ce qu’était autrefois la beauté.


Il ne manque rien à tout ce que les yeux du monde voient en toi que les

pensées du cœur puissent améliorer ; toutes les langues qui sont la voix
des âmes te rendent cette justice, ne disant que la vérité, suivant
l’usage des ennemis, lorsqu’ils font des éloges. L’extérieur est
couronné de louanges extérieures ; mais ces mêmes langues qui te rendent
si bien ce qui t’est dû affaiblissent ces éloges par d’autres accents en
voyant plus loin que ne montrent les yeux. On pénètre la beauté de ton
esprit, et ils la mesurent approximativement par tes œuvres, en sorte
que leurs pensées avares, malgré la libéralité de leurs yeux, joignent à
la beauté de tes fleurs l’odeur désagréable des mauvaises herbes ; mais
voilà pour quelle raison ton parfum ne répond pas à ta beauté : tu

pousses avec trop d’abondance.


Ce n’est pas ta faute si on te blâme. La beauté a toujours servi de but

à la calomnie. L’ornement de la perfection est le