Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/456

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soupçon, corbeau qui
traverse l’air le plus pur des cieux. Ainsi sois seulement vertueux ; la
calomnie ne fait que prouver ton mérite recherché par le temps ; car le
chancre du vice s’attaque toujours aux boutons les plus parfumés, et ton
printemps se présente dans toute sa fleur et toute sa pureté. Tu as
traversé les embûches de la jeunesse sans être assailli, ou en restant
vainqueur. Cependant cet éloge ne peut pas être assez à ton honneur pour
enchaîner l’envie qui grandit toujours. Si quelque soupçon de mal ne

voilait pas ton éclat, tu régnerais seul sur tous les coeurs.


Quand je serai mort, ne pleurez pas plus longtemps que vous n’entendrez

retentir le sombre glas funèbre, annonçant au monde que j’ai quitté ce
vilain monde pour aller vivre avec de vilains vers. Si vous lisez ces
vers, ne vous rappelez pas qui les a écrits. Je vous aime tant, que je
voudrais être banni de vos chères pensées plutôt que de vous rendre
triste en pensant à moi. Ou bien, dis-je, si vous regardez ces vers
quand je serai peut-être mélangé à l’argile, ne répétez même pas mon
pauvre nom ; mais laissez votre amour passer avec ma vie, de peur que le
sage monde, s’enquérant de vos gémissements, ne se moque de vous à mon

sujet quand je n’y serai plus


Oh ! de peur que le monde ne prenne à tâche de vous faire énumérer quel

mérite je pouvais avoir pour que vous conserviez de l’affection pour moi
après ma mort, mon ami bien-aimé, oubliez-moi tout à fait, car vous ne
pourriez pas prouver qu’il y eût en moi quelque chose digne de vous, à
moins que vous n’inventassiez quelque pieux mensonge, afin de faire pour
moi plus que mon propre mérite, en accumulant sur le pauvre mort plus
d’éloges que la vérité avare n’en voudrait accorder, de peur que votre
fidèle amour ne soit convaincu de fausseté en parlant bien de moi par
affection en dépit de la vérité ; que mon nom soit enterré avec mon corps
et ne survive pas pour vous faire honte, ainsi qu’à moi, car j’ai honte
de ce que je produis, et vous devriez avoir honte aussi d’aimer des

choses qui ne valent rien.


Sonnets
LXXIII
Tu vois en moi le temps de l’année où il ne reste sur les