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LA TEMPÊTE.

lui permettre de me flatter. Il est noyé, celui après lequel nous errons ainsi, et la mer se rit de ces vaines recherches que nous avons faites sur la terre. Soit, qu’il repose en paix !

Antonio, bas à Sébastien.

Je suis bien aise qu’il soit ainsi tout à fait sans espérance. — N’allez pas pour un contre-temps renoncer au projet que vous étiez résolu d’exécuter.

Sébastien.

Nous l’accomplirons à la première occasion favorable.

Antonio.

Cette nuit donc ; car, épuisés comme ils le sont par cette marche, ils ne voudront ni ne pourront exercer la même vigilance que lorsqu’ils sont frais et dispos.

Sébastien.

Oui, cette nuit ; n’en parlons plus.

(On entend une musique solennelle et singulière. Prospero est invisible dans les airs. Entrent plusieurs fantômes sous des formes bizarres, qui apportent une table servie pour un festin. Ils forment autour de la table une danse mêlée de saluts et de signes engageants, invitant le roi et ceux de sa suite à manger. Ils disparaissant ensuite.)
Alonzo.

Quelle est cette harmonie ? mes bons amis, écoutons !

Gonzalo.

Une musique d’une douceur merveilleuse.

Alonzo.

Ciel ! ne nous livrez qu’à des puissances favorables. Quels étaient ces gens-là ?

Sébastien.

Des marionnettes vivantes. Maintenant je croirai qu’il existe des licornes, qu’il est dans l’Arabie un arbre servant de trône au phénix, et qu’un phénix y règne encore aujourd’hui.

Antonio.

Je crois à tout cela ; et, si l’on refuse d’ajouter foi à quelque autre chose, je jurerai qu’elle est vraie. Jamais les voyageurs n’ont menti, quoique dans leurs pays les idiots les condamnent.

Gonzalo.

Voudrait-on me croire si je racontais ceci à Naples ? Si je leur disais que j’ai vu des insulaires ainsi faits, car certainement c’est là le peuple de cette île ; et, qu’avec des formes monstrueuses, ils ont, remarquez bien ceci, des mœurs plus douces que vous n’en trouveriez chez beaucoup d’hommes de notre temps, je dirais presque chez aucun ?