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INTRODUCTION.

— Allons, faites, et soyez brève. Je vais marcher en attendant.

Et bientôt l’exécution a lieu, exécution terrible qu’un génie immense a pu seul imaginer. Le bourreau prend l’alcôve de l’amant et en fait un sépulcre. Il change le lit en cercueil. Il enlève l’oreiller nuptial, cet oreiller où, hier encore, reposaient deux têtes adorées, et il en fait un étouffoir. Il arrache les draps de noce, ces draps tièdes encore de la première nuit, et il en fait une garotte. Il saisit tout le mobilier de l’amour, et il en fait l’appareil de la mort.

Mais à peine le supplice est-il terminé, à peine la sentence a-t-elle été exécutée, que la vérité apparaît avec la splendeur de l’évidence. Quelques mots dits par Émilia ont suffi pour justifier la condamnée de toutes les imputations qui pesaient sur elle, et pour établir que le verdict prononcé reposait sur un faux témoignage. En vain Othello, hagard, échevelé, bouleversé, essaye-t-il de se cramponner quelques minutes à l’honnêteté d’Iago : l’éclat de la lumière lui fait lâcher prise. Il reconnaît enfin la radieuse innocence de sa femme. Il s’était cru bourreau, il n’était qu’assassin.

Dès qu’il s’est vu sous cet aspect, Othello ne peut plus vivre. Le meurtre de Desdémona est là qui crie vengeance, et Othello n’est pas homme à accorder un répit au meurtrier. Que lui parle-t-on des tribunaux de Venise ? Il trouve trop lentes les formalités de la juridiction sociale. C’est en lui-même, c’est par-devant sa conscience qu’il instruit son procès. Justice sommaire et sans appel. Tout à l’heure il a jugé Desdémona, il peut bien se juger maintenant. Tout à l’heure il a condamné Desdémona, à présent il se condamne.

« Doucement, vous autres ! un mot ou deux avant que vous partiez ! J’ai rendu à l’État quelques services, on le