Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 5.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
82
LES JALOUX.

sait. N’en parlons plus, je vous en prie. Dans vos lettres, quand vous raconterez ces faits lamentables, parlez de moi tel que je suis. N’atténuez rien, mais n’aggravez rien. Alors vous aurez à parler d’un homme qui a aimé sans sagesse, mais qui n’a que trop aimé ; d’un homme peu accessible à la jalousie, mais qui, une fois travaillé par elle, a été entraîné jusqu’au bout ! Racontez cela, et dites en outre qu’une fois, dans Alep, voyant un Turc, un mécréant en turban, battre un Vénitien et insulter l’État, je saisis ce chien de circoncis à la gorge, et le frappai — ainsi. »

Et cela dit, Othello se jette sur son épée. Double suicide ! Il se tue comme il a tué Desdémona.

Tout est fini. Le démon a terminé son œuvre. L’union du More et de la Vénitienne, cette union, qui semblait indissoluble, est dissoute. Ce mariage si légitimement sublime, ce mariage d’amour, ce mariage de raison, le voilà cassé ; et entre ces époux, l’un le génie, l’autre la beauté, l’un l’héroïsme, l’autre la grâce, c’est le meurtre qui de sa voix rauque a prononcé le divorce ! Hélas ! c’était donc pour être séparés ainsi qu’ils s’étaient aimés. C’était donc par là que devaient finir toutes ces joies, toutes ces extases, tous ces ravissements. Ce ménage si tranquille dont la paix était comme une céleste harmonie, cet intérieur charmant où le bruit des baisers devait être le pire désaccord, ce foyer conjugal autour duquel ils groupaient en espérance une famille, tout cela s’est évanoui brusquement dans un crime. Leur chambre à coucher n’est plus qu’une mare de sang ! Leur lit nuptial n’est plus qu’un charnier, et les voilà tous deux couchés ensemble, l’une étranglée, l’autre poignardé !

De tous les dénoûments que le théâtre de Shakespeare nous offre, certes celui-ci est le plus douloureux et le plus navrant. Dans les autres drames du poëte, la né-