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SCÈNE XIV.

la reine.

— Faut-il donc que nous nous quittions ! faut-il que nous soyons séparés !

richard.

— Oui, il faut que la main s’éloigne de la main, mon amour, le cœur du cœur !

la reine, à Northumberland.

— Bannissez-nous tous deux, et renvoyez le roi avec moi.

northumberland.

— Ce serait charitable, mais peu politique.

la reine.

— Eh bien ! laissez-moi aller où il ira.

richard.

— Deux infortunes qui pleurent à la fois n’en font qu’une. — Pleure-moi en France, je te pleurerai ici ; — mieux vaut être éloignés l’un de l’autre que rapprochés sans satisfaction possible. — Va, compte tes pas par des soupirs ; je compterai les miens par des sanglots.

la reine.

— Mon chemin étant le plus long rendra ma plainte la plus longue.

richard.

— Mon chemin étant le plus court, je sangloterai deux fois à chaque pas, — et j’allongerai la route par un surcroît de désespoir. — Allons, allons, cessons de faire la cour à la douleur : — car, quand on épouse la douleur, c’est pour bien longtemps. — Qu’un baiser nous ferme la bouche dans un muet adieu !

Ils s’embrassent.

— Ainsi je te donne mon cœur et te prends le tien.

la reine.

— Rends-moi le mien ; ce ne serait pas bien à moi — de garder ton cœur et de le déchirer.

Ils s’embrassent de nouveau.