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LE PÈLERIN PASSIONNÉ.

turément ternie ! belle créature, tuée trop tôt par le dard acéré de la mort !

Comme une prune verte qui pend à l’arbre et tombe sous un coup de vent, avant le moment où elle devrait tomber !

Je te pleure, et pourtant je n’ai pas de motif de te pleurer, car tu ne m’as rien légué dans tes volontés dernières ; et pourtant tu m’as légué plus que je ne demandais, car je ne t’ai jamais rien demandé.

Oh ! si, chère amie ! je te demande pardon ; car tu m’as légué ta rancune.

VII

Jolie est ma bien-aimée, mais moins jolie que capricieuse ; douce comme une colombe, mais ni fidèle, ni digne de confiance ; plus brillante que le verre, mais, comme le verre, fragile ; plus molle que la cire, et pourtant, comme le fer, sujette à la rouille.

Pâle lis, embelli de nuances rosées ! En éclat nulle ne l’éclipse, nulle en fausseté !

Que de fois elle a joint ses lèvres aux miennes, proférant entre chaque baiser un serment d’amour ! Que de contes elle a forgés pour me plaire, redoutant mon amour, mais sans cesse en craignant la perte !

Pourtant, au milieu de toutes ces pures protestations, sa parole, ses serments, ses larmes, tout était dérisoire.

Elle a brûlé d’amour, comme la paille prend feu ; elle a brûlé l’amour, aussi vite que le feu brûle la paille. Elle a édifié l’amour, et pourtant elle en a dégradé l’édifice. Elle a fait vœu d’amour durable, et pourtant elle est tombée dans l’inconstance.

Était-ce là une amoureuse, ou une libertine ? Elle était mauvaise en ce qu’elle avait de meilleur, sans exceller en rien.