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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 15.djvu/55

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SONNETS.

Dis-moi que tu aimes ailleurs, mais, devant moi, cher cœur, abstiens-toi de jeter de côté tes œillades. Qu’as-tu besoin de ruse pour me blesser, quand ton pouvoir excède déjà mes trop faibles moyens de défense ?

Faut-il pour t’excuser que je dise : Ah ! elle sait, ma bien-aimée, que ses jolis regards sont mes pires ennemis ; aussi les détourne-t-elle de ma face pour en diriger les coups ailleurs ?

Va, n’en fais rien ; mais, puisque tu m’as presque tué, achève-moi sous tes regards et termine ma souffrance.

VIII

Sois prudente dans ta cruauté : n’accable pas ma patience jusqu’ici muette de trop de dédains, de peur que le désespoir ne me prête des paroles, et que ces paroles n’expriment le ressentiment de ma douleur méprisée.

Si je pouvais t’enseigner la prudence, mieux vaudrait, vois-tu, amour, quand tu ne m’aimerais pas, me dire que tu m’aimes ; de même qu’aux malades moroses, dont la mort est proche, les médecins ne parlent que de guérison.

Car, si je désespérais, je deviendrais fou, et dans ma folie je pourrais mal parler de toi. Maintenant le monde perverti est devenu si méchant que de folles médisances sont crues par ses folles oreilles.

Oh ! pour qu’il n’en soit pas ainsi et que tu ne sois pas calomniée, regarde-moi en face, quand même la coquetterie égarerait ton cœur.