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SONNETS.

IX

Dans le vieux temps, la brune n’était pas trouvée belle, ou, si elle l’était, elle ne portait pas le nom de la beauté (6). Mais aujourd’hui la brune hérite de la beauté par succession, et la calomnie par des attraits bâtards.

Depuis que la main humaine a usurpé le pouvoir de la nature, en embellissant la laideur par un masque mensonger, la beauté idéale n’a plus de nom, plus de moment sacré, mais elle est profanée, si elle ne vit pas en disgrâce.

Les yeux de ma maîtresse sont noirs comme le corbeau, et cette couleur leur sied ; car ils semblent porter le deuil de toutes ces beautés qui, n’étant pas nées blondes, calomnient la création par une fausse apparence.

Mais la couleur du deuil va si bien à ses yeux chagrins que tout le monde dit : « La beauté devrait être brune. »

X

Telle que tu es, tu es aussi tyrannique que celles que rend cruelles l’orgueil de leur beauté : car tu sais bien que, pour mon pauvre cœur qui radote, tu es le plus charmant et le plus précieux bijou.

Pourtant, il faut l’avouer, il en est qui disent en te voyant que ton visage n’a pas le pouvoir de faire soupirer l’amour ; je n’ose pas dire qu’ils se trompent, bien que je me le jure à moi-même.