Aller au contenu

Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 15.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
82
SONNETS.

La bête qui me porte, accablée de ma douleur, se traîne tristement pour porter ce poids en moi ; comme si, par quelque instinct, la malheureuse savait que son cavalier n’aime pas la vitesse qui l’éloigne de toi.

L’éperon sanglant ne peut plus l’exciter, quand parfois ma colère l’enfonce dans sa peau ; elle y répond par un gémissement pénible, plus douloureux pour moi que l’éperon pour son côté.

Car ce gémissement me rappelle que mon ennui est en avant, et ma joie en arrière.

LI

Ainsi mon affection sait excuser la fastidieuse lenteur de ma triste monture, quand je m’éloigne de toi : car pourquoi m’enfuirais-je en hâte des lieux où tu es ? Avant que je revienne, il n’est pas besoin d’un train de poste.

Oh ! quelle excuse ma pauvre bête trouvera-t-elle à cette heure du retour, où la vitesse extrême ne pourra que me sembler lente ? Alors j’emploierais l’éperon, fussé-je monté sur le vent, car sa course ailée me paraîtrait immobile.

Alors, pas de cheval qui puisse emboîter le pas avec mon désir ; aussi mon désir, fait du plus pur amour, hennira-t-il, coursier idéal, dans toute l’ardeur de son élan ; et mon amour, trouvant en lui-même l’excuse de mon haridelle, dira :

« Puisqu’en quittant l’être aimé elle allait si volontiers