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SCÈNE IX.

SCÈNE IX.
[Milan. Dans le palais ducal.]
Entre Protée.
protée.

— En quittant ma Julia, je me parjure ; — en aimant la belle Silvia, je me parjure ; — en trahissant mon ami, je me parjure hautement. — Le pouvoir qui m’a imposé mon premier serment — est le même qui me provoque à ce triple manque de foi ! — Amour m’a dit de jurer et amour me dit de me parjurer. — Ô doux tentateur amour, si tu as fait mon péché, — enseigne-moi, à moi ton sujet séduit, à l’excuser… — D’abord j’idolâtrais une équivoque étoile, — mais maintenant j’adore un céleste soleil. — Des vœux irréfléchis peuvent être rompus par la réflexion : — et celui-là n’a pas d’esprit qui n’a pas la résolution — d’obliger son esprit à échanger le mal pour le mieux. — Fi ! fî ! langue irrévérente ! peux-tu dénigrer ainsi — celle dont tu as si souvent consacré la souveraineté — par vingt mille serments du cœur ? — Je ne dois pas cesser d’aimer, et je cesse pourtant : — mais si je cesse d’aimer, c’est toujours pour aimer. — Je perds Julia, et je perds Valentin. — Si je les garde, il faut que je me perde. — Si je les perds, je recouvre, grâce à cette perte, — au lieu de Valentin, Protée, au lieu de Julia, Silvia (5). — Je me suis plus cher à moi-même qu’un ami, — car l’amour de soi passe avant tout autre. — Près de Silvia, j’en atteste le ciel qui l’a créée si belle, — Julia n’est qu’une Éthiopienne hâlée. — Je veux oublier que Julia est vivante — et me rappeler seulement que mon amour pour elle est mort. — Quant à Valentin, je