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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 8.djvu/457

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APPENDICE.

il ruminait ainsi mélancoliquement, Saladin arriva avec ses gens, et voyant que son frère, absorbé dans ses sombres réflexions, avait oublié la révérence d’usage, il voulut l’arracher à sa rêverie : « Manant, dit-il, votre cœur est-il en détresse, ou diriez-vous une patenôtre pour l’âme de votre père ? Allons, mon dîner est-il prêt ? »

— Tu me demandes tes ragoûts, répliqua Saladin en détournant la tête et en fronçant le sourcil ? Demande-les à quelqu’un de tes paysans, qui sont faits pour un pareil office. Je suis ton égal par la nature, sinon par la naissance ; et, quoique tu aies plus de cartes que moi dans la main, j’ai dans la mienne autant d’atouts. Une question ! Pourquoi as-tu abattu mes bois, dépouillé mes manoirs, et fait main-basse sur tout le mobilier que m’avait donné mon père ? Je t’en préviens, Saladin, réponds-moi en frère ou je te traiterai en ennemi.

— Çà, drôle, repartit Saladin en souriant de la présomption de Rosader, je vois que l’abrisseau, qui doit devenir ronce, a de bonne heure des épines ; est-ce mon regard bienveillant qui vous a appris à être si arrogant ? Je puis promptement remédier à ce mal, et je ploierai l’arbrisseau tandis qu’il n’est encore qu’une baguette. Vous, mes amis, empoignez-le et liez-le, et alors je lui appliquerai un atout qui refroidira sa colère.

À cette menace, Rosader devint à moitié fou. Il s’empara d’un long râteau qui se trouvait dans le jardin, et en asséna des coups si rudes sur les gens de son frère, qu’il blessa quelques-uns d’entre eux et mit le reste en fuite. Saladin, voyant son frère si déterminé et si vaillant dans sa détermination, confia son salut à ses talons et se réfugia dans un grenier qui adjoignait le jardin où Rosader le poursuivait vigoureusement. Saladin, craignant la fureur de son frère, lui cria : — Rosader ne